Aller mieux dans un monde qui fait mal : une psychothérapie engagée

Comment aller mieux dans un monde qui fait mal ? Cette question fondamentale est au cœur de ma pratique de psychopraticienne centrée sur la personne. Nous vivons dans un monde où les réalités sociales peuvent exacerber la souffrance individuelle.

Il est donc crucial de comprendre comment notre « intime », l’essence la plus personnelle de notre identité, incluant notre corps, esprit, pensées, sentiments, émotions, souvenirs et dimension spirituelle – est impacté par les dynamiques sociétales.

L’impact du « politique » sur l’« intime » de la personne

Carl Rogers, le fondateur de l’Approche Centrée sur la Personne (ACP), met en lumière la « dissociation » entre nos comportements conscients, influencés par des modèles sociaux stricts, et nos besoins intérieurs profonds et inconscients. Les structures sociales et familiales façonnent ainsi notre intime dès la naissance.

Les sources de souffrance sociétales et familiales

Les rapports de domination dans nos sociétés génèrent de nombreuses souffrances. La compétition, le culte de la performance, la comparaison, le jugement et l’évaluation constante sont autant de formes de discrimination. Cette violence systémique et les dynamiques de pouvoir se répercutent également au sein des familles.

De nombreuses personnes ont vécu des « expériences adverses dans l’enfance » (ACEs) – violences physiques, psychologiques, sexuelles, économiques, éducatives, et négligence affective – qui ont un impact profond sur leur santé physiologique et psychologique.

À toutes ces causes s’ajoute la stigmatisation des victimes, souvent perçues comme faibles et manquant de volonté pour s’en sortir. Cette culpabilisation masque la dimension systémique de la souffrance, posant une question cruciale pour l’accompagnement thérapeutique :

Dans un monde générateur de souffrance et d’aliénation, le choix thérapeutique est fondamental : s’agit-il d’aider l’individu à s’adapter à un environnement oppressant ou, au contraire, de l’accompagner dans un processus de réappropriation de sa liberté, au-delà des contraintes extérieures ?

La psychothérapie centrée sur la personne : une voie vers l’émancipation

L’Approche centrée sur la personne cherche à intégrer la dimension politique (sociale ou familiale) dans sa théorie du développement de la personne. Elle s’interroge sur les réponses qu’une pratique psychothérapeutique peut apporter face à ces souffrances.

Dans ma pratique, je prends en compte la dimension sociologique de la souffrance psychique. Carl Rogers souligne l’impact des normes sociales rigides et des environnements familiaux oppressifs sur le développement du moi. Ces contraintes créent un décalage entre le « moi authentique » et le « moi conforme ».

L’Approche centrée sur la personne plaide pour une transformation radicale des relations humaines, incitant les praticiens à renoncer à une posture d’expert au profit d’une expertise relationnelle, favorisant l’autonomie et l’autodirection des individus.

Pour Rogers, c’est à travers des relations humaines libérées des rapports de pouvoir qu’une personne peut véritablement s’épanouir.

L’ACP en action : restaurer le pouvoir personnel

Dans ma pratique, que ce soit à travers mon engagement associatif d’écoutante bénévole ou mes accompagnements thérapeutiques professionnels, l’ACP me permet de répondre aux souffrances ancrées dans des contextes sociaux hostiles. Je ne cherche pas à ce que les personnes s’adaptent à ce qui les oppresse, mais je souhaite offrir un espace pour qu’elles puissent restaurer leur pouvoir personnel et explorer des perspectives de transformation.

Un exemple concret : comprendre la souffrance intime et politique

Prenons l’exemple d’une jeune personne transféminine, appelons-la Ada. Elle exprime un profond sentiment de solitude et de désespoir, lié à des causes intimes et politiques.

Au cours de nos échanges, Ada confie ressentir une grande tristesse et une violence émanant du monde extérieur. Expatriée, elle décrit le sentiment d’être « bienvenue nulle part », face à la radicalisation croissante et à la menace constante contre les personnes trans. Le fait d’avoir dû déménager et reconstruire sa vie, de perdre ses cercles sociaux, d’apprendre de nouvelles coutumes et langues, devient un combat pour survivre dans un monde qui ne cesse de vouloir du mal. Ce quotidien est épuisant et conduit à des réflexions profondes sur le sens même de la vie et la volonté de continuer à se battre face à tant de souffrance.

Dans cet échange, Ada attribue une part significative de sa souffrance à la violence du monde extérieur, à commencer par le rejet brutal de sa transidentité par sa famille. Confrontée à cette hostilité, elle éprouve une détresse si intense que la disparition lui semble la seule issue possible. Son vécu illustre avec force l’impact du politique sur l’intime, et met en lumière le processus d’aliénation et de dissociation décrit par Rogers : face aux violences subies, l’accès à la pleine acceptation de son expérience de soi devient compromis. Ada se trouve tiraillée entre son expérience adverse du monde extérieur et ses besoins intérieurs profonds, son processus de développement est bloqué dans son mouvement d’actualisation.

La psychothérapie, un acte thérapeutique et politique

En somme, la psychothérapie centrée sur la personne peut être à la fois un acte thérapeutique et politique. « Aller mieux dans un monde qui fait mal » implique une prise de conscience des forces sociales qui façonnent la souffrance et un engagement à accompagner les individus dans leur quête d’émancipation. Mon accompagnement s’inscrit dans cette démarche visant à créer des conditions favorables permettant aux personnes que j’accompagne de se développer librement, malgré les contraintes sociétales.